La société française creuse sa propre tombe...

Publié le par Castor

Bonjour à toutes et tous!

Désolé pour ce long silence lié à diverses péripéties personnelles qui ont concentré toute mon attention (et tout mon temps!) (emménagement, recherche de boulot, signature de CDI, démission, re-recherche de boulot, bref la totale :-)

Ce petit billet a pour but de promouvoir un livre particulièrement intéressant que je viens de terminer. "La société de défiance: comment le modèle social français s'autodétruit" écrit par Pierre Cahuc et Yann Algan a reçu le prix du livre d'économie 2008 et a été élu par le magazine Lire meilleur essai 2007. J'ai connu cet ouvrage par le magazine Challenges où Pierre Cahuc, professeur à l'Ecole Polytechnique et spécialiste des questions économiques, tient une chronique régulière.




Voici quelques liens vers le site de Challenges qui publie ses chroniques:
http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0065.8773/?xtmc=pierrecahuc&xtcr=33
http://www.challenges.fr/magazine/evenement/0116.2370/?xtmc=pierrecahuc&xtcr=16
http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0048.10843/?xtmc=pierrecahuc&xtcr=37
http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0043.11495/?xtmc=pierrecahuc&xtcr=38
http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0035.12468/?xtmc=pierrecahuc&xtcr=42
http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0023.13977/?xtmc=pierrecahuc&xtcr=46
http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0017.14740/?xtmc=pierrecahuc&xtcr=49


Il est à mes yeux un expert indépendant, capable de critiquer les propositions de droite comme de gauche, lorsque celles-ci ne correspondent pas à ses propres idées et analyses. En ce sens, il n'est pas comme pas mal d'idéologues économiques (qui sont d'ailleurs plus politiciens qu'économistes...) capables de toutes les prostitutions intellectuelles pour défendre leur candidat, leur parti ou leur réforme.

Revenons donc à nos moutons, à savoir l'ouvrage "La société de défiance" que je qualifierais de véritable pamphlet contre le modèrle social français mais, au delà, contre la société française elle-même.
La thèse défendue est que le modèle français créé en 1945 et  fondé sur l'étatisme (intervention importante de l'Etat dans la sphère économique et sociale d'où règlementation de tous les domaines économiques et sociaux dans leurs moindres détails) et le corporatisme (fait daccorder des droites sociaux associés au statut et à la profession) alimente une grande forme d'incivisme et de défiance au sein de la société française qui ont un impact négatif considérable sur la bonne santé économique du pays mais aussi sur le bien être social de l'ensemble des citoyens...

OK, jusque là, c'est une théorie qui se défend mais quelles preuves sont apportées pour donner du corps à la démonstration? C'est là toute la force de cet essai: chaque affirmation est étayée d'analyses statistiques des auteurs fondées la plupart du temps sur de vastes enquêtes internationales comme la World Values Survey 1980 - 2000 ou l'International Social Survey Program, qui posent des questions harmonisées à des milliers d'individus dans un grand nombre de pays depuis plusieurs décennies. Les auteurs ont d'ailleurs la grande amabilité de nous passer les détails techniques de leurs études statistiques pour ne nous présenter que les résultats sous forme de graphiques, souvent sur deux axes dans le but de montrer un certain de nombre de corrélations (par exemple la corrélation entre Etat providence corporatiste et confiance envers les autres, ou entre taux de syndicalisation et salaire minimim légal). Et le moins que l'on puisse dire c'est que le tableau dressé par les auteurs est loin d'être flatteur pour la France... Je ne vais pas dévoiler l'ensemble des conclusions du livre, ce qui serait à la fois trop long et un moyen de vous donner une excuse pour ne pas lire l'ouvrage... Mais il est clair que la France fait figure d'épouvantail dans le mauvais sens du terme avec son modèle social issu de la Seconde Guerre Mondiale.  Ainsi, dans de nombreux classements, la France est LE pays développé le plus mal classé (notamment en ce qui concerne l'incivisme déclaré et constaté) et se trouve face à un grand nombre de contradictions (système qui se prétend universaliste et égalitariste mais qui, dans les faits est loin de l'être- cf. seules 70% des français de 16 à 65 ans sont éligibles aux allocations chômage-maladie ou retraite contre plus de 90% en Suède, au Danemark ou a Canada; de même, le rapport entre allocations sociales de base et allocations maximales (qui mesure l'égalitarisme d'un système) est proche de 1 au Danemark alors qu'il est à peine supérieur à 0,5 en France)... Le drame dans tout ça c'est que tous ces facteurs ont un impact considérable sur l'économie de notre pays - on estime qu'entre 2000 et 2003, le PIB français se serait accru de 5% soit 1500€ par personne si notre niveau de confiance individuel avait attient le niveau suédois...- mais aussi sur la satisfaction globale des habitants de notre pays - avec une note inférieure à 7/10 dans l'estimation de leur bonheur, les citoyens français sont situés au dernier rang des pays développés (le seul à notre niveau étant l'Espagne) et nouns sommes même devancés par les pays d'Amérique Latine qui estiment être plus heureux que nous! Tordons d'ailleurs le cou à certaines idées reçues, les pauvres Américains dans leur système si méchant et si difficile qui exclut tant de gens se sentent pourtant bien plus heureux que nous (moyenne supérieure à 7,5/10)... Ca fait réfléchir non??

Alors vous me direz que les chiffres ne montrent pas tout, que les études statistiques peuvent avoir des biais et que, notamment, "corrélation" ne signifie pas "causalité". C'est tout à fait vrai et c'est une autre force de l'ouvrage: les auteurs déminent le terrain en soulevant les biais envisageables et en faisant référence à de nombreux ouvrages permettant de contrer ces biais ou en relativisant leurs conclusions lorsque ce biais n'ont pas encore été levés...

Il est donc évident que notre modèle social est complètement hors du coup. Et les pistes de réformes données en fin de livre (redistribution plus universaliste, meilleure régulation de la concurrence, sécurisation des parcours professionnels et activation du dialogue social) apparaissent plus comme une refondation totale du modèle que comme de simples modifications pour le rendre plus efficace. Ne nous voilons pas la face: notre système de 1945 est mort (il contenait d'ailleurs en lui même les facteurs de sa destruction, notamment ses caractéristiques étatiques et corporatistes, promues par les communistes au lendemain de la guerre...) et doit être enterré puisque, de toute façon, si on ne l'enterre pas de façon volontaire, il s'enterrera tout seul, et nous aurons été les artisans de sa déchéance... Car le modèle danois que l'on présente comme la panacée et qui est, bien entendu, un modèle admirable qui peut servir de fondement à la refondation de notre propre système, a une caractéristique MAJEURE qui nous fait défaut: le civisme et la confiance envers autrui au sein de la société. Comment vouloir bâtir un système universaliste quand seulement 40% de la population française estime injustifiable de réclamer indûment des aides publiques (90% des danois)? Comment bâtir un système solidaire quand seulement 20% des français répondent qu'il est possible de faire confiance aux autres à la question "pensez vous que l'on est jamais assez méfiant ou que l'on peut faire confiance aux autres" (60% des danois)? Comment fonder un système qui s'articule autour d'un dialogue social sain quand près d'un quart des français déclare n'avoir aucune confiance dans les syndicats (moins de 10% dans les pays nordiques...)? S'il est clair que nous sommes face à un cercle vicieux où les défauts du système engendrent une telle défiance et un tel manque de confiance, ne nous voilons pas la face: nous, français, sommes responsables de la situation dans laquelle notre système se trouve mais aussi de la façon dont il fonctionne au quotidien. Les pays étrangers nous considèrent souvent comme arrogants... Personnellement, je dirais que notre défaut majeur est l'égoïsme: socialement, les français sont égoïstes et individualistes; ils ont perdu toute notion du bien collectif et de l'intérêt général; tout ce qui ne va pas dans le sens de son intérêt le pousse à râler, manifester, se plaindre et le faire savoir; par contre, bien évidemment, les avantages des autres sont indus et si mon intérêt personnel est en jeu face à autrui, je l'écraserai sans pitié car il n'y a que moi qui compte... Je caricature à peine... Il suffit de voir à quel point, quand on a un problème ou une difficulté dans un lieu public, personne (ou si rarement) ne prend la peine d'apporter son aide ou, au moins, de la proposer... Et pourtant, le français n'a aucune gêne à critiquer le système social alors qu'il se comporte la plupart du temps comme un goret  et n'a pas une once d'autocritique... C'est la faute des autres, vous savez, ceux dont on doit se méfier...  Bref, il est évident que rien ne s'arrangera tant que nous, individuellement et collectivement, ne déciderons pas de changer les choses et d'être plus solidaires, plus à l'écoutes des autres... Et je ne me situe pas là sur un plan politique... Cela passe par de petites choses, la politesse, l'amabilité, le don, l'écoute, le partage.. Des valeurs désuètes pour certains, trop religieuses pour d'autres (les libres penseurs et Michel Onfray doivent me vomir) mais essentielles pour donner au corps social une direction, un sens, une homogénéité qui lui manquent cruellement... Car comment peut on admettre que les français se placent, sur une échelle de bonheur et de bien être, en dessous des pays d'Amérique latine et bien loin de tous les autres pays développés, alors que nous avons des atouts considérables pour nous sentir bien (pas de guerre, une stabilité politique, un pays équilibré au niveau des ressources, de la richesse à ne plus savoir qu'en faire - demandez aux Indiens ou aux Cambodgiens ou aux Congolais si nous ne sommes pas riches... etc.)? Peut être sommes nous trops gras? Peut être ne trouvons nous pas le sens de nos vies? Or, quand je regarde la société américaine, si dure, si méchante, si mauvaise, si inégalitaire, je vois une population qui s'estime très heureuse, je vois des gens engagés dans des associations (c'est un point clé pour les auteurs), je vois de personnes polies qui tiennent la porte aux autres, qui s'arrêtent aux passages piétons, qui donnent de l'argent mais surtout de leur temps pour les autres... Bref, une société qui vit, qui a conscience de l'importance du bien vivre ensemble et qui a trouvé un sens à son existence... Peut être devrions nous en prendre exemple, au moins pour certaines caractéristiques plutôt que de vilipender les USA à tout bout de champ... Mais ce n'est que mon avis...

@ bientôt tutti (je vais essayer de préparer une chronique sur la société de consommation...)

Castor

Publié dans Critique de livres

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Ce livre me paraît vraiment interessant...D'accord avec toi sur les contradictions de notre société:je les pointe du doigt (moins sous l'angle économique) dans mon blog:le jeu des incohérences....
Répondre
C
pas mal du tout !!!c quand meme impressionnant !
Répondre
C
Tres bon article!Le livre a l'air très bon, surtout riche en arguments et exemples qui peuvent nous faire cruellement défaut lorsque l'on débat face aux adeptes des "cris du coeur".Pour ce qui est du sticker de la FSU, leur porte parole a dit que c'est parce qu'il sont déjà en manque de moyens :D. 
Répondre
L
Welcome back le Castor!! Belle analyse et joli coup de gueule. Comment? Toucher à la vache sacrée du modèle social français (version 1945), se préoccuper des autres, être poli, ne pas penser qu'à sa gueule; avoir le sens du collectif? Et puis quoi encore?  Peut-être connaitre (sans la siffler....) la Marseillaise aussi????? Bref, vaste programme comme aurait dit un grand Ancien! Mais comme chacun sait, il n'est pas nécesaire d'espérer pour entrependre.... NB: super les deux dessins, sur le mammouth il ne manque que le sticker de la FSU!!
Répondre